Le projet de mise en place d’un compte financier unique

Par Mohamed Toubi

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La séparation entre ordonnateurs et comptables publics est la pierre angulaire – et la grande spécificité – du système de comptabilité publique français. Des responsabilités incombent aux ordonnateurs, d’autres incombent aux comptables publics. Un partage des missions et des rôles est défini dans le cadre de relations nombreuses et régulières.

Chacun des deux acteurs – l’ordonnateur et le comptable public – participent au processus budgétaire et financier : les opérations de chacun sont retracées et détaillées, d’où l’existence de deux documents importants : le compte administratif pour l’ordonnateur et le compte de gestion pour le comptable public. Le compte administratif correspond à un arrêté des comptes, sorte de compte de résultat pour collectivités territoriales ; le compte de gestion, lui, comporte des données ayant trait à l’exécution financière, mais de surcroît, le compte de gestion contient des informations liées au bilan et aux données patrimoniales. Les états financiers, au premier rang desquels, le budget primitif et le compte administratif, sont très importants en matière d’information financière à destination des élus, des citoyens, des institutions et des personnes extérieures à la collectivité.

Pour rappel, l’article 47-2 de la Constitution prévoit que « Les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ».

L’existence de deux documents distincts ne va pas sans poser de difficultés. En effet, si le principe d’unité budgétaire doit permettre de faciliter la compréhension des éléments financière et l’accès à l’information financière, la coexistence de deux documents ne simplifie pas la lecture et l’analyse des données. De plus, l’existence de deux états financiers distincts a pour conséquence une complexification en matière d’analyses et de suivi : en effet, les collectivités territoriales doivent voter le compte administratif et approuver le compte de gestion, mais avant cela, elles doivent contrôler la correspondance des données entre les états. Il est vrai que, depuis le passage généralisé au Protocole d’Echange Standard Version, la transmission des données budgétaires a été facilitée. Toutefois, des anomalies subsistent ; il convient donc d’analyser et de corriger lesdites anomalies.

Les états financiers actuels sont complexes et disparates. L’idée de créer un document unique simplifié – sorte de compte financier unique – n’est pas récente, depuis la fin des années 1990, cette idée est présentée. Avec le développement des flux dématérialisés et les expérimentations relatives à la certification des comptes des collectivités territoriales, la création d’un compte financier unique s’avère nécessaire et utile dans une perspective de clarté et qualité comptable. Le but, par le biais de la création d’un compte financier unique, est d’offrir aux différents acteurs une vision synthétique et d’ensemble de la situation financière d’une collectivité territoriale.

Actuellement, pour obtenir une vision d’ensemble de la situation financière d’une collectivité territoriale, il est nécessaire d’agréger, de retraiter et de consolider un certain nombre de données et d’états. Le compte financier unique, qui existe déjà pour les établissements publics de santé et les offices d’habitat à comptabilité publique, a vocation à se substituer au compte administratif et au compte de gestion.

C’est pourquoi, en février 2017, l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale de l’administration (IGA) ont été missionnées pour proposer et préciser les modalités de création d’un compte financier unique dont la vocation est d’améliorer la compréhension et l’intelligibilité des données, en termes de présentation et de contenu, que cela soit pour les élus locaux, les services extérieurs (établissements de crédits, partenaires, etc.), les citoyens et les institutions. Le 13 novembre 2017, l’IGF et l’IGA ont donc publié un rapport sur la mise en place d’un compte financier unique dans le cadre budgétaire et comptable des collectivités territoriales.

Le rapport prévoit la création d’une nouvelle maquette qui comprendrait des informations générales et synthétiques, des données relatives à l’exécution budgétaire, des éléments ayant trait à la situation patrimoniale et des annexes qui seraient simplifiés et dont le nombre serait diminué. Le recoupement et le regroupement des données ont vocation à améliorer la lisibilité et l’intelligibilité des informations. Le compte financier unique permettrait de combler certaines carences, notamment en matière de comptabilité d’inventaire : le compte administratif, hormis au niveau de quelques annexes d’entrées et de sorties de biens, ne retrace pas les éléments qui concernent l’actif immobilisé et le passif ; or, les différences entre l’inventaire de l’ordonnateur et l’état de l’actif du comptable sont patentes. Un outil tel que le compte financier unique pourrait corriger, ou, à tout le moins, amoindrir le nombre d’anomalies et d’écarts d’inventaire.

Le rapport préconise également les modalités d’approbation du compte financier unique. Actuellement, le compte administratif et le compte de gestion doivent être approuvés avant le 30 juin, et les résultats de clôture sont repris par la suite, hormis si la collectivité territoriale procède à une reprise anticipée de résultats. De fait, le vote et l’approbation du compte administratif et du compte de gestion – malgré leur importance stratégique – s’apparentent bien souvent à un simple enregistrement de données chiffrées. La création d’un compte financier unique offrirait un espace et un temps, à l’instar des discussions relatives au débat d’orientation budgétaire et au budget primitif, au débat et aux questions concernant la gestion financière de la collectivité territoriale.

En outre, à la différence du compte administratif et du compte de gestion – qui peuvent être approuvés après le vote du budget primitif –, le compte financier unique serait validé en début d’exercice, lors du premier trimestre de chaque exercice.

La mise en place d’un compte financier unique ne remet pas en cause le principe de séparation entre les ordonnateurs et les comptables publics. Toutefois, la mise en place d’un tel compte ne se fera pas automatiquement. Des ajustements sont nécessaires. La création d’un document unique nécessitera des ajustements en termes organisationnel et informatique, notamment en matière de production de données.

Ainsi, une phase d’expérimentation est envisagée en 2019. La phase d’expérimentation, à l’instar des expérimentations en cours concernant la certification des comptes, s’effectuerait sur la base du volontariat pour les collectivités territoriales. La durée de la phase expérimentale serait de 18 mois au terme de laquelle un bilan serait effectué.

Sources :