Baisse des dotations et hausse de la fiscalité locale : un jeu à somme nulle ?

Par Julien Chemoul

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La Direction générale des collectivités territoriales a publié en juillet 2017 le bulletin d’information statistique relatif à la fiscalité locale en 2016. Elle souligne ainsi une augmentation limitée, par rapport à 2015, de la hausse du produit de la fiscalité locale. Celui-ci s’établit à 88,1 milliards d’euros en 2016 contre 85,9 milliards en 2015, soit une hausse de 2,6 % alors qu’elle était de 4,2 % en 2015. Sur la période 2014-2017, la dotation globale de fonctionnement est passée de 40 milliards d’euros à 31 milliards, le produit de la fiscalité directe locale a lui augmenté de 6 milliards d’euros (les chiffres 2017 ne sont pas encore disponible sur ce point). Ainsi, les collectivités ont déjà absorbé près de 60 % de la baisse des dotations par une augmentation des produits fiscaux.

La première question consiste à savoir si cette évolution provient d'une dynamique des bases ou d'une augmentation des taux. La Direction générale des collectivités territoriales indique que « la progression des produits des taxes ménages entre 2015 et 2016 est due principalement à l'effet taux, pour le secteur communal comme pour les départements ». Pourtant à l'analyse des éléments fournis, cette assertion paraît quelque peu excessive pour notamment les communes. Ainsi, le produit de la taxe d'habitation diminue de 0,2 % résultant d'une baisse de 0,8 % des bases et une hausse des taux de 0,6 %. Concernant la taxe sur le foncier bâti, la hausse de 2,6 % est due à une augmentation de 1,8 % des bases et 0,8 % des taux. Sur l'ensemble du secteur communal, incluant les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité professionnelle unique et ceux à fiscalité additionnelle, l'évolution du produit des 3 taxes ménages est de 1,7 % dont 0,4 % trouve son origine dans la dynamique des bases et 1,2 % pour les taux. En revanche, les départements ont effectivement connu une augmentation de 7 % du produit de la taxe sur le foncier bâti dont 5,1 % provient de la hausse des taux.

En rentrant dans le détail des impositions, il s’avère que l’augmentation concerne essentiellement les impôts ménages. En effet, ceux-ci contribuent pour 72,72 % à l’augmentation globale alors qu’ils représentent 62,2 % du produit de la fiscalité directe locale. Au sein de cet ensemble, la cause principale de l’augmentation provient de la taxe sur le foncier bâti. Il y a d’abord une explication technique à cet élément. Cet impôt est perçu d’une part au niveau départemental, et d’autre part, au niveau local. Il constitue en outre, le seul élément de fiscalité directe locale sur lequel les départements conservent un pouvoir de fixation des taux. Elle constitue, ainsi, un levier fiscal de choix pour les collectivités territoriales.

Le produit de la taxe d'habitation est en léger recul entre 2015 et 2016. Il résulte du rétablissement de l'exonération pour les personnes modestes. Elle a abouti à une diminution nette des bases de 456 millions d'euros.

Les impôts économiques, c'est-à-dire la contribution foncière des entreprises, la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, les impositions forfaitaires des entreprises de réseaux et la taxe sur les surfaces commerciales, ont progressé moins rapidement en 2016 qu'en 2015 (1,8 % après 4,1 %). Les bases de CVAE ont connu une dynamique plus faible qu'en 2015 (1,4 % après 4,5 %). Le point central pour la gestion locale concerne la CFE. Cette contribution demeure le seul impôt économique sur lequel les collectivités conservent un pouvoir de taux. Le produit a augmenté de 2,9 % entre 2015 et 2016 dont 2,2 % au titre de la dynamique des bases et 0,7 % au titre des taux. Il convient de relever une forte baisse du produit pour les communes, -12,1 %. La proportion de communes faisant partie d'un EPCI en FPU étant en constante augmentation, celles-ci ne perçoivent plus cet impôt.

La Direction générale des collectivités territoriales ne manque pas de faire un parallèle entre ces augmentations de la fiscalité locale et les baisses de dotation. Concernant le secteur communal, elle relève que si la diminution moyenne de la DGF est de 29 € par habitant, certaines communes ont connu une baisse de plus de 45 €/habitant alors que pour d’autres, elle est restée stable ou elle a augmenté. Or, les communes les plus durement touchées par la baisse de la DGF ont augmenté, entre 2015 et 2016, le taux de la taxe sur le foncier bâti de 0,58 point en moyenne et de 0,30 point pour la taxe d’habitation. À l’opposé, les communes qui ont connu une augmentation de la DGF n’ont augmenté la TFB que de 0,16 point et la TH de 0,14 point.

Cette constatation sous-tendrait que les collectivités auraient souhaité conserver un train de vie dispendieux en usant de leviers fiscaux. En premier lieu, il convient de rappeler qu'il existe un lien entre la taille des communes et leurs revenus fiscaux. Le produit des taxes ménages passe de 408 € par habitant pour les communes de moins de 200 habitants à 752 € par habitant pour les communes de plus de 100 000 habitants. Les bases d'imposition progressent avec la taille de la commune ainsi que les taux. Concrètement, ces grandes collectivités ont, bien souvent, financé des équipements publics, des services à la population et assumer des charges de centralité. Ces collectivités ne peuvent pas, dès lors, être en capacité de faire face à des baisses significatives de leurs dotations en supprimant sur une courte période des services publics. Ainsi, le levier fiscal demeure le seul moyen de financer ces charges.

En second lieu, nous soulignerons que les collectivités ont entamé leur mutation et la rationalisation de leur gestion. Le rapport de l'Observatoire des finances locales et de la gestion publique locales publié en septembre 2017 révèle une baisse des dépenses de fonctionnement 0,2 % des collectivités territoriales en 2016. Ainsi, les dépenses de personnel progressent  de 0,9 % entre 2015 et 2016 contre 4,1 % entre 2013 et 2014 et 1,9 % entre 2014 et 2015. Ce tassement se fonde notamment sur une diminution de la rémunération des agents contractuels. Les budgets primitifs 2017 anticipent toutefois les augmentations induites par la hausse du point de 0,6 % du 1er février 2017 et la montée en puissance du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations. Cette seule mesure a un impact prévisible de 260 millions d'euros à partir de 2017, tandis que l'augmentation du point d'indice induit une charge supplémentaire de 550 millions. Les dépenses d'intervention, correspondant au financement des compétences, telle que l'aide sociale pour les départements, transports, lycées pour les régions, subventions pour le bloc communal, baissent de 0,2 %. Les charges externes diminuent aussi de 1,6 %.

Les collectivités ne se contentent donc pas d'actionner des leviers fiscaux mais prennent des mesures organisationnelles fortes afin de faire face aux nouvelles contraintes financières pesant sur elles, malgré un contexte législatif peu favorable, notamment les mesures concernant les frais de personnel, qu'elles ne maîtrisent pas.

Les marges fiscales demeurent donc un moyen de faire face à une situation conjoncturelle instable, avec par exemple la suppression de 300 millions d'euros de dotations principalement sur la DETR et le Fonds de soutien à l'investissement local.

Enfin, il est nécessaire d'évoquer le projet actuel d'exonération de la taxe d'habitation pour 80 % des foyers. Les collectivités vont perdre un nouveau levier fiscal ce qui risque, d'une part, de concentrer la fiscalité directe locale sur les propriétaires de foncier bâti, et d'autre part, de couper le lien entre le citoyen électeur et le responsable politique. Comme le rappellent régulièrement les associations d’élus locaux, le lien fiscal local constitue une forme d’implication de l’habitant dans la vie publique. De plus, la qualité de contribuable confère une capacité juridique telle que celle prévue à l'article L. 2132-5 du CGCT qui dispose que « tout contribuable inscrit au rôle de la commune a le droit d'exercer, tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques, avec l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'il croit appartenir à la commune ».

Sources :