Projet de loi de finances : le Sénat en ébullition

Par Tiphaine Huige

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Climat bouillant au Sénat qui a adopté, avec modifications en première lecture, jeudi 9 novembre 2017, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Réduction du déficit public, augmentation de la croissance et baisse des dépenses sont les maîtres mots, arbitres d’un conflit sans fin entre le pouvoir centralisé et les administrations décentralisées.

I. Le projet de loi de programmation des finances publiques amendé en faveur des collectivités territoriales

1. Prélude salvateur : contexte et grandes orientations budgétaires

Déposé à l’Assemblée nationale par le Gouvernement le 27 septembre 2017, le projet de loi de programmation des finances publiques fixe une trajectoire des finances publiques traduisant, selon ses auteurs, « l’ambition du Gouvernement de réduire à la fois le déficit public, la dépense publique et les prélèvements obligatoires, tout en finançant les priorités du Gouvernement ». Ambition clairement affiché. La tâche n’est pas aisée.

Les lois de programmation des finances publiques (LPFP), normes financières régies par l’article 34 de la Constitution, s’inscrivent dans une démarche de gestion pluriannuelle des finances publiques, mais ne remettent pas, pour autant, en cause le principe d’annualité budgétaire.

Juridiquement, c’est une loi ordinaire qui cadre la trajectoire financière globale de l’ensemble des administrations, à savoir l’État, les organismes divers d’administration centrale, les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale.

Les LPFP ne sont pas des lois de finances, en ce sens que leurs dispositions ne peuvent contraindre ni le Gouvernement ni le Parlement dans la procédure annuelle de préparation et d’adoption du budget.

En réalité, elles ont donc une portée juridique assez faible mais apportent, disons, une certaine forme de solennité dû au vote de la représentativité nationale.

Sans exhaustivité, parmi les dispositions du projet de loi pour les années 2018 à 2022 figurent notamment :

  • la mise en place de deux objectifs en matière de finances locales (c'est--à dire, une évolution des dépenses réelles de fonctionnement, exprimées en valeur, en comptabilité générale de la section de fonctionnement, et une évolution du besoin de financement annuel calculé comme les emprunts minorés des remboursements de dette) et une procédure de contractualisation avec les 300 collectivités et groupements les plus importants (le Gouvernement se défendant de ne pas faire de baisse sèche de dotations aux collectivités par cette mesure, procédure contesté par les sénateurs dans le sens où, notamment, en cas de non-respect du contrat, les collectivités concernées seraient sanctionnées par « une baisse des concours financiers de l’État ») ;
  • le montant maximal de l’ensemble des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales pour cette période ;
  • l’instauration d’un instrument de pilotage des dépenses fiscales destiné à contenir leur montant total en examinant chaque année la part des dépenses fiscales de l’État dans ses recettes fiscales. Un type d’outil similaire est prévu concernant les niches sociales ;
  • l’interdiction de recourir au crédit-bail immobilier pour l’État et les organismes divers d’administration centrale (ODAC) ;
  • l’introduction d’une nouvelle règle prudentielle qui doit permettre d’améliorer la capacité d’autofinancement des collectivités territoriales.

2. Le rôle important de la commission des finances, particulièrement constructive en faveur des collectivités territoriales

Après examen en commission des finances le 31 octobre 2017 conduisant à l’adoption d’amendements (à titre d’exemple, la réduction de l’effort en dépenses imposé aux collectivités territoriales ou encore le rappel de l’engagement du Président de la République de supprimer 50 000 postes dans la fonction publique de l’État sur la durée du quinquennat), ce 9 novembre matinée, les sénateurs ont rejeté la mention tendant à apposer la question préalable (son vote entraînerait le rejet de l’ensemble du texte auquel elle s’applique).

À noter que la commission des finances le 31 octobre 2017 a, notamment, révisé la ligne de conduite en faveur des collectivités territoriales.

En effet, concernant les collectivités territoriales, le rapporteur général – Albéric de Mongolfier – rappelle qu’elles ont dépassé les objectifs que leur fixait la précédente loi de programmation.

Concernant la période 2018-2022, il est précisé que l’évolution tendancielle de leurs dépenses est manifestement sous-évaluée, partant, le montant de l’effort demandé également (objectif fixé à 13 milliards d’euros mais qui en réalité peut s’évaluer à 21 milliards d’euros).

Sur la baisse des dépenses des collectivités, les sénateurs dénoncent « l’enfumage » du Gouvernement. En effet, contrairement à ce qui est annoncée par le Gouvernement, les sénateurs calculent la baisse des dépenses des collectivités à 21 milliards d’euros « d’efforts réels », non à 13. Débat sans fin. L’addition est amère pour une majorité de sénateurs.

La commission a donc adopté un amendement afin de ramener leur effort réel effectif à 13 milliards d’euros, en portant de 1,2 % à 1,9 %, l’objectif d’évolution en valeur de leurs dépenses de fonctionnement.

Par ailleurs, tout en approuvant le choix d’une procédure de contractualisation, le rapporteur général a regretté le flou entourant sa mise en œuvre pratique. Partant, la commission des finances a adopté des amendements afin que les lignes directrices de ces contrats soient précisées par la loi, en ajoutant également les engagements de l’État en matière d’évolution de leurs ressources et de leurs dépenses contraintes (en plus de ceux des collectivités). Des garde-fous ont donc été mis en place par la commission.

La commission des finances a également enrichi le mécanisme correctif proposé par le Gouvernement, et qui reposait uniquement sur un « malus », par un « bonus » sous la forme d’un soutien à l’investissement local lorsque les objectifs sont atteints par les collectivités territoriales.

Enfin, la commission des finances a supprimé la nouvelle règle – portée par le Gouvernement – encadrant l'endettement des collectivités territoriales, au motif que celle-ci faisait peser le risque d'une tutelle de l'État sur le recours à l'emprunt, conduisant à contraindre l’investissement local.

En outre, alors qu’existe déjà la règle d’or – à savoir, à gros traits, l’équilibre des sections de fonctionnement et d’investissement – et que celle-ci se suffirait à elle-même, le nouveau ratio d’endettement [fondé sur la capacité de désendettement] que prônait le gouvernement présenterait, selon les sénateurs, des limites sur le plan technique.

Aussi, le dernier argument avancé tient en ce qu’il appartient d’abord à l’État de contribuer au désendettement de la France, plutôt qu’aux collectivités territoriales. Leur dette ne représente que 9% de la dette publique totale, rappellent les sénateurs.

Cette démarche de la commission des finances est donc particulièrement constructive en faveur des collectivités.

La relation État/collectivités demeure compliquée. En effet, l’effort encore demandé aux collectivités s’inscrit dans le cadre d’une relation entre l’État et les élus locaux devenue tendue, notamment après la suppression de la taxe d’habitation et de la réserve parlementaire, ainsi que de la baisse de 300 millions d’euros de la dotation générale de fonctionnement cet été.

3. L’adoption en séance d’un texte amendé

Par suite, à l’issue de la discussion générale du 9 novembre dernier, les sénateurs ont examiné les articles du projet de loi. Le texte a été voté, après modifications. Au cours de cet examen, ils ont notamment :

  • exclu des objectifs d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement les dépenses des conseils départementaux liées au financement des allocations individuelles de solidarité et à l’accueil des mineurs non accompagnés (amts 5 rect., 13, 38 rect., art. 10) ;
  • limité la pression budgétaire imposé au ministère des armées, en l’exemptant de la règle de limitation des restes à payer des programmes budgétaires aux niveaux atteints à fin 2017 (amt 51 rect. ter, art. 14) ;
  • prévu que le rapport présenté chaque année par le Gouvernement sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques évalue l’impact des évolutions législatives sur l’objectif d’évolution de la dépense locale (amts 8 rect. et 16, art. 25).

Toutefois, des constats peuvent être mis en avant, traduisant – malgré le travail de la commission des finances – une position moins ambitieuse qu’initialement prévue. Le projet de LPFP déposé par le Gouvernement est moins ambitieux qu’attendu, manque en réalité d’ambition profonde. Face à cela, en séance, la Haute Assemblée n’a pas mâché ses mots en essayant d’adopter une attitude particulièrement constructive, et notamment comme évoqué ci-dessus concernant les collectivités locales.

En outre, plusieurs constats sont à mettre en exergue :

  • les efforts en dépenses et en recettes sont moins ambitieux qu’annoncé dans le cadre du débat d’orientation budgétaire. En effet, la trajectoire annoncée en juillet – plus stricte, plus ambitieuse – n’est pas conforme à celle finalement adoptée à l’automne 2017. Initialement, les efforts devaient, en début de période, se concentrer sur une baisse importante des dépenses conjointement à une baisse de la pression fiscale. En réalité, la donne change en ce que les baisses de dépenses sont repoussées massivement en fin de trajectoire, tout le moins pas avant les années 2019-2020 ;
  • le respect de nos engagements européens ne semble pas être assuré. Concernant l’ajustement budgétaire à réaliser afin d’être conforme aux engagements européens de la France, le présent projet de LPFP est en dessous des minima qui permettraient la conformité aux règles du volet préventif du pacte de stabilité. La débat sur la primauté ou non du droit européen prend tout son sens. Par ailleurs, en ce qui concerne la capacité d'alerte du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) d’apprécier nos engagements européens, le projet de LPFP tend à réduire ses prérogatives. En effet, le présent projet de LPFP est divergent par rapport à nos engagements européens. En conséquence, la Commission européenne pourrait ouvrir à l’encontre de la France une procédure pour « déviation significative », sans que le mécanisme de correction impliquant le HCFP ne puisse être enclenché, réduisant de fait son champ d’intervention.

Affaire à suivre lors de la prochaine lecture !

II. Autre débat : le projet de loi de finances rectificative pour 2017

Ce même jour, jeudi 9 novembre 2017, outre le débat évoqué ci-dessus, le Sénat a adopté le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2017, après avoir supprimé son article 1er (et essentiel) qui instituait deux contributions exceptionnelles sur l'impôt sur les sociétés dû par les grandes entreprises au titre de 2017.

La loi de finances rectificative, appelée aussi « collectif budgétaire », est la loi modifiant en cours d’exercice les dispositions de la loi de finances de l’année. Au moins une loi de finances rectificative est votée en fin d’année pour autoriser des mouvements de crédits ou ré-estimer le niveau des recettes.

L’objet du PLFR pour 2017 est de tirer les conséquences de :

  • la décision du 17 mai 2017 par laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a jugé la contribution de 3 % sur les revenus distribués incompatible avec le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiale ;
  • de l’invalidation par le Conseil constitutionnel, le 6 octobre dernier, de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3 % sur les dividendes distribués.

Le Gouvernement estime que le contentieux de ces deux décisions engendre, y compris les intérêts moratoires, « une charge supplémentaire pour le budget de l’État de l’ordre de 10 Md€ ».

Afin de compenser ce surcoût sur l’année 2017, le Gouvernement a donc proposé une contribution exceptionnelle et ponctuelle à l’impôt sur les sociétés.

Préalablement au vote du 9 novembre dernier, le Haut Conseil des finances publiques a adopté, le 30 octobre 2017, un avis relatif au premier projet de loi de finances rectificative pour l’année 2017.

Le HCFP relève, dans cet avis, que le chiffrage du dispositif proposé présente quelques incertitudes, assez neutralisantes. Il considère, concernant le traitement en comptabilité nationale, que l’hypothèse retenue par le Gouvernement est analogue à celle qui a été appliquée aux précédents contentieux fiscaux de série.

Le Haut Conseil constate aussi que la saisine du Gouvernement ne prend pas en compte les effets du dispositif sur les finances publiques en 2018, qui pourraient être substantiels. Pour le HCFP, ils devront nécessairement être intégrés au PLF pour 2018 dans le débat parlementaire.

Par ailleurs, la haute instance indique que « le PLFR ne présente pas d’actualisation des hypothèses macroéconomiques et des prévisions de finances publiques pour 2017 » et  souligne que « l’appréciation qu’il lui est demandé de porter dans le cadre de ce PLFR a, de ce fait, un caractère très formel ». En effet, « certaines informations devenues disponibles depuis la présentation du PLF 2018 sont susceptibles de conduire à des révisions significatives des prévisions de finances publiques pour 2017 », et qu’il est difficile d’en apprécier les conséquences.

Après un vote en urgence par l'Assemblée nationale le 6 novembre 2017, la surtaxe exceptionnelle sur les grandes sociétés n'a finalement pas reçu le soutien du Sénat.

Sans accord de la commission mixte paritaire, le Sénat doit examiner en nouvelle lecture le projet de loi de finances rectificative pour 2017.

La journée du 9 novembre 2017 fut une journée mouvementée pour les sénateurs. Les problématiques budgétaires et financières de notre pays sont des enjeux majeurs dans les politiques publiques, nationales et extranationales.

Quoiqu’on en dise, l’argent demeure le nerf de la guerre.

Sources :