Réforme de la fiscalité des collectivités territoriales : une nouvelle saga s'écrit

Par Julien Chemoul

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La réforme de la fiscalité locale est en passe de devenir le nouveau thriller de la vie locale. La suppression programmée de la taxe d'habitation a lancé cette réflexion sur le financement des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 2017 à propos de la loi de finances initiale pour 2018 indique qu'il sera susceptible de réexaminer la constitutionnalité de la suppression de la taxe d'habitation au regard de la réforme de la fiscalité locale annoncée par le gouvernement. Le 10 avril 2018, c'est le Conseil économique social et environnemental qui a rendu un avis « pour une réforme globale de la fiscalité locale ».

Le CESE envisage la classification des impôts et taxes perçus par les collectivités en les découpant en trois grandes catégories :

  • les impôts de flux dont l'assiette est basée sur des variations entre deux repères temporels tels que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ;
  • les impôts dont la base repose sur des éléments physiques à l'instar de la taxe foncière sur les propriétés bâties et non-bâties ;
  • les impôts sur la consommation comme la TVA.

Il apparaît que 60 % des recettes des collectivités locales dépendent de l'immobilier et de son évaluation. Cette situation relève d'une particularité française. En Allemagne et en Espagne, pays possédant une structure fédéraliste, la moitié des recettes fiscales locales provient d'impositions basées sur le revenu. Le ratio s’élève à 64 % en Suisse et 85 % en Finlande. De plus, la comparaison avec ces pays montre que dans certains pays fortement décentralisateurs, comme l'Allemagne ou la Suisse, les collectivités locales ne possèdent qu'une très faible marge de manœuvre sur la fiscalité qui leur est allouée. Par exemple, elles ne possèdent pas de pouvoir en matière de fixation des taux d'imposition. Il conviendrait dès lors de sortir du paradigme de l'autonomie fiscale des collectivités pour se focaliser sur l'autonomie financière.

Le CESE pointe la multiplication des dégrèvements et des compensations intervenue depuis le début des années 2000. Les élus locaux interrogés par le Conseil ont fait valoir les difficultés liées à ce mouvement. En premier lieu, ces transferts financiers de l’État vers les collectivités représentent 16 % du produit des taxes ménages et économiques. Ils considèrent qu'il existe un risque d'atteinte à leurs libertés et fragilisent les ressources. En particulier, forts d'expériences douloureuses, ils craignent pour la pérennité des dégrèvements. En second lieu, ils rappellent que l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dispose que chaque citoyen doit participer à l'entretien des services publics. La multiplication des exonérations conduit ainsi à distendre le lien entre l'utilisateur des services publics et l'autorité territoriale compétente.

Pour clôturer son diagnostic, le CESE constate que l'environnement territorial est marqué par une complexité grandissante qui vient mettre à mal son appréhension par les différents acteurs. En termes de compétences, les différents mouvements de décentralisation depuis le début des années 1980 n'ont pas permis de fixer des blocs de compétences. Cet enchevêtrement entraîne une dilution des responsabilités, il engendre des surcoûts liés à la redondance des services supports et une difficile compréhension pour le citoyen. En terme fiscal, on note une multiplicité des impositions présentant chacune un régime différent. Les bases des impôts ménages ne sont plus représentatives d'une réalité économique. Il convient de rappeler que les différentes tentatives de réforme des bases n'ont jamais pu aboutir depuis plus de 30 ans, les rendant obsolètes et inefficaces. Le CESE met en évidence que le système de péréquation contribue de cette complexité. Il se décompose en 16 fonds aux règles disparates et dont les effets n'ont jamais été réellement mesurés. Les conséquences rejaillissent sur le citoyen. En premier lieu, le Conseil rappelle que dès 2006, il observait une « déliaison croissante entre impôt local et contribuable local. » Il lui paraissait déjà nécessaire de « permettre à chaque catégorie de contribuable d'identifier clairement le niveau territorial qui a le pouvoir fiscal sur l'impôt qui la concerne, ce qui responsabilise d'autant les décideurs locaux dans un dispositif qui devrait mieux prendre en compte globalement la capacité contributive des redevables comme les impératifs liés à l'économie et à l'environnement. » L'opacité liée à la technicité des mécanismes fiscaux met ainsi à mal le consentement à l'impôt. Il en va de même pour les entreprises, la multiplication des impositions, dont certaines ont un rendement très faible, constitue un élément de coût important. Il est évalué à 3,1 % de la valeur ajoutée marchande et 2,4 % de la valeur ajoutée totale réalisée par les entreprises. En outre, les entreprises ont besoin qu'il existe un lien entre le territoire auquel elles contribuent et les services produits par les collectivités. Enfin, les élus locaux, plate-forme entre ces différents acteurs aux intérêts parfois divergents, se trouvent confrontés à cette complexité dans la gestion de leurs structures.

Afin de répondre à ce constat, le CESE formule sept préconisations :

  • engager rapidement une réforme globale et ambitieuse de la fiscalité locale en cohérence avec les besoins : sans surprise, après un diagnostic de presque cinquante pages montrant les défaillances nombreuses du système actuel, le Conseil souhaite que soient engagés « des États généraux de la fiscalité locale. » Il souhaite que cette démarche s'appuie sur une évaluation fine du système actuel et qu'elle se déroule dans une démarche participative en associant l'ensemble des acteurs concernés.
  • simplifier et clarifier l'architecture du système : pour le CESE, il existe une imbrication forte entre fiscalité locale et nationale. Il est donc impossible de réformer l'une sans l'autre. Il convient de penser un cadre lisible et transparent permettant aux collectivités d'obtenir une autonomie d'action sans se préoccuper de la notion d'autonomie fiscale. Il souhaite que l'on concentre les ressources sur seulement deux strates des collectivités existantes, sans augmentation de la pression fiscale.
  • financer plus justement l'action des collectivités : l’obsolescence du système actuel, reposant principalement sur des bases physiques et donc territoriales, le rend inadapté aux mutations économiques actuelles. On assiste à une concentration des richesses sur des portions réduites de territoires. De facto, le système fiscal répercute ces inégalités et les accroît. Il est donc préconisé de répartir les recettes fiscales nationales, résultant de la dynamique économique du pays. Par exemple, il propose d'affecter une part de la TVA afin de financer la compétence de développement économique des régions ou encore une quote-part de la CSG pour le financement de la compétence sociale des départements.
  • sécuriser ce nouveau cadre en renforçant la solidarité des territoires : comme indiqué précédemment, la concentration des richesses au sein d'un nombre restreint de métropoles engendre aussi une concentration des services publics sur des portions limitées du territoire. Or, les systèmes de péréquation ne permettent pas de réguler ces disparités. L'affectation d'impôts nationaux, la diminution du nombre d'échelons territoriaux ayant un pouvoir fiscal autonome doit permettre de revoir ce dispositif de péréquation. En outre, il conviendra de prévoir un système d'évaluation permanente de cette nouvelle redistribution favorisant la péréquation verticale.
  • faire évoluer les rapports entre l’État et les collectivités locales : le CESE préconise de revoir les relations entre l'échelon national et les structures décentralisées. En effet, l'affectation de ressources nationales implique que chaque niveau territorial s'entende sur l'état du pays, et donc sur le montant de la collecte prévisible et la quote-part affectée aux collectivités territoriales, ainsi que la répartition et les critères de celle-ci. Le Conseil souhaite confier ce rôle à la Conférence nationale des territoires. De plus, il préconise la conclusion d'accords triennaux sur ces questions afin de permettre aux élus locaux d'avoir une vision pluriannuelle de leurs ressources. Ils pourront bâtir des prévisions pluriannuelles et construire leurs plans d'investissement.
  • faire évoluer le rapport entre les collectivités locales et les habitants : face à la demande des citoyens, confrontés aux difficultés de la vie courante, en service public et des élus devant faire face à des budgets resserrés, les liens se distendent. En outre, les exigences d'une nouvelle démocratie plus participative nécessitent une information fiscale plus transparente. Le CESE préconise l'organisation de « Conférences citoyennes triennales sur le budget ». Elles ne posséderaient qu'un rôle consultatif et informatif à destination des citoyens, acteurs économiques. Ce dispositif serait complété par la création d'outils numériques permettant d'accéder en temps réel à l'information fiscale.

Le CESE s'empare à son tour de ce grand dossier de la réforme fiscale. On constate qu'un consensus politique, administratif, citoyen fort se dégage sur la nécessité d'obtenir des avancées concrètes sur cette thématique. On sait toutefois que le sujet est particulièrement délicat, la réflexion risque d'être particulièrement longue. Le suspense et les rebondissements émailleront à coup sûr le film, mais le scénario promet d'être passionnant.

Sources :