« Le passage d’une comptabilité de caisse à une comptabilité en droits constatés n’est pas sans incidences sur la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable »

Alors que l’expérimentation des agences comptables a dû être suspendue, faute de candidats, la réflexion sur l’avenir des finances publiques et sur l’évolution des fonctions d’ordonnateur et de comptables se poursuit. Le point avec Vincent Sivré, président de section à la chambre régionale des comptes du Centre-Val de Loire.

Propos recueillis par Agnès Raynal

Publié le

Pourquoi l’expérimentation des agences comptables, lancée en 2019, s’est-elle interrompue ?

Dans le cadre d’une réflexion menée par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sur le rapprochement des fonctions financières et comptables de l’ordonnateur et du comptable public, la mise en place d’agences comptables a été proposée aux collectivités territoriales et aux établissements publics de santé en 2019 (Loi no 2018-1317 de finances pour 2019, art. 243). Cette expérimentation reposait sur le volontariat et consistait pour l’ordonnateur à créer au sein de ses services une nouvelle entité ayant à sa tête un comptable public dont la responsabilité pécuniaire et personnelle pouvait être engagée. Parmi les objectifs de cette nouvelle organisation figurent la réduction des délais de paiement, la fiabilisation des comptes et le renforcement des liens entre le service financier de la collectivité et le service comptable. L’agence comptable permettait ainsi d’intégrer l’ensemble des problématiques de la collectivité (budgétaires, comptables, financières et fiscales) dans un seul et même cadre organisationnel au sein de la direction des affaires financières. Mais la loi de finances pour 2020 (art. 237) a mis fin à l’expérimentation, faute de candidats. Des inquiétudes avaient été publiquement exprimées à son égard ce qui a conduit à son abandon. Des représentants syndicaux des agents du Trésor public ont émis des réserves sur cette réorganisation et des associations d’élus, comme l’association des maires de France, ont également fait savoir leur attachement à la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable.

Dans quel contexte s’inscrivait cette démarche ?

Cette expérimentation s’inscrivait dans le cadre du programme de transformation de l’administration « Action publique 2022 » lancé par le Gouvernement en octobre 2017 et devait être menée de manière concomitante avec d’autres réformes. On peut notamment citer l’expérimentation de la certification des comptes publics locaux par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes dont les premiers tests ont lieu cette année, après une préparation de trois ans, et dont un bilan est prévu pour 2022. La DGFiP a également lancé, fin 2019, l’expérimentation du compte financier unique (fusion du compte administratif et du compte de gestion) avec un réel succès de participation de la part des collectivités territoriales. Ses conclusions devraient être connues en 2023. À la différence de ces deux expérimentations, celle de la création des agences comptables a été plus complexe à promouvoir notamment parce qu’elle devait s’accompagner du transfert d’une charge (le détachement d’un comptable public ou l’affectation d’un fonctionnaire territorial sur la fonction d’agent comptable non compensé financièrement par l’État) ce qui pouvait représenter une dépense significative pour la collectivité locale concernée.

Faut-il faire évoluer la séparation entre les fonctions d’ordonnateur et de comptable ?

Selon le principe de la séparation des fonctions entre un ordonnateur et un comptable, le premier est à l’initiative des opérations financières, mais ne peut les dénouer sans l’intervention du second.

Ce principe est très ancien puisqu’il apparait sous l’ancien régime. Une ordonnance du 14 septembre 1822 le réinstaure après la révolution. Il a été réaffirmé depuis lors par plusieurs textes législatifs et règlementaires. Edgard Allix en avait souligné la raison d’être : « Séparer l’administration proprement dite et le service de caisse. » (Allix E., Traité élémentaire de Science des finances et de législation financière française, 1931, Rousseau et Cie, 6e éd., p. 292).

Il s’est longtemps révélé pertinent pour garantir le contrôle et la probité des comptes publics. Or, depuis une vingtaine d’années, cette règle prudentielle perd progressivement de sa substance.

Certes, la dématérialisation des opérations financières et des aménagements apportés au principe de séparation (régies d’avance et de recettes, paiement sans ordonnancement préalable, recours au mandat, services facturiers, convention de partenariat, convention de services comptable et financier) a contribué à cette évolution.

Mais c’est surtout l’amélioration progressive des normes comptables publiques, renforcée par des exigences accrues de l’Union européenne, qui a conduit à déplacer le « service de caisse » du centre du dispositif (pour aller plus loin, voir Sivré V., « Normalisation européenne des comptes publics : les réserves de la Cour fédérale des comptes allemande », Revue Gestion et finances publiques, 4 (2018) 75-82). Les collectivités territoriales sont ainsi passées d’une comptabilité de caisse (la transaction est enregistrée uniquement lorsque le règlement est effectué) à une comptabilité en droits constatés (les opérations sont rattachées à un exercice comptable, mais leurs encaissements ou paiements peuvent avoir lieu lors d’un exercice antérieur ou suivant). Cette évolution des normes et donc des pratiques comptables publiques conduit à ne plus placer le comptable, à l’instar de sa caisse, au cœur du dispositif. L’ordonnateur en constitue désormais l’élément central puisque c’est lui qui se trouve à l’origine des transactions enregistrées en comptabilité d’exercice. Or le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire organisé par l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 n’a pas été adapté à cette évolution.

Il semble aujourd’hui nécessaire de réfléchir à d’autres régimes de responsabilité afin de continuer à garantir la probité des acteurs et la fiabilité des états financiers à destination de l’assemblée délibérante de la collectivité et donc des citoyens.