Responsabilité des comptables publics : « Les objectifs de l’ordonnance sont clairs, mais son application pourra être compliquée »

Publiée au Journal officiel du 26 mars, l’ordonnance no 2020-326 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics exonère, de manière exceptionnelle en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, les comptables publics de leur responsabilité habituelle. Explications et précisions avec Bernadette Straub, Inspecteur divisionnaire honoraire à la Direction générale des finances publiques.

Propos recueillis par Agnès Raynal

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Quel est l’objectif de l’ordonnance du 25 mars 2020 ?

Prise sur le fondement de l'article 11 de la loi no 2020-290 du 23 mars 2020, l'ordonnance no 2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics qualifie les mesures de restriction de circulation et de confinement ainsi que l'état d'urgence sanitaire de « force majeure » susceptible d'exonérer les comptables publics de leur responsabilité personnelle et pécuniaire. L’idée de ce texte est de permettre d’accélérer le paiement des factures dans une période de crise où les moyens humains sont limités en raison du confinement. L’ordonnance déroge en cela à l'article 60 de la loi no 63-156 de finances pour 1963 relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics.

En quoi consiste la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public ?

L'article 60 de la loi no 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963 indique que « les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine ». Le décret no 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique vient préciser le rôle et la teneur des contrôles qui incombent aux comptables publics. Ce qui signifie par exemple qu’en cas d’erreur de paiement d’une facture, ou d’absence de diligences en matière de recouvrement d’une recette, il revient au comptable de rembourser le préjudice financier subi par la collectivité ou l’organisme public sur ses deniers personnels.

Le comptable est également responsable en cas d’erreur « administrative » (par exemple absence d’une pièce justifiant le paiement d’une dépense), et ce, même si la collectivité ou l’organisme public n’a pas subi de préjudice financier. Dans ce dernier cas, depuis l’adoption de la loi no 2011-1978 de finances rectificative pour 2011 ainsi que la parution du décret no 2012-1386 du 10 décembre 2012, « la somme maximale pouvant être mise à la charge du comptable, conformément aux dispositions du deuxième alinéa du VI de l'article 60 de la loi no 63-156 du 23 février 1963 susvisée, est fixée à un millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable considéré. » Dans tous les cas, les comptables publics ont une responsabilité énorme, car certaines erreurs peuvent coûter très cher. Ils doivent obligatoirement adhérer à l’association française de cautionnement mutuel, une assurance qui garantit les remboursements assurés par l’État (car le comptable rembourse l’État, qui indemnise la collectivité, en cas de préjudice). La plupart du temps les comptables souscrivent également une assurance personnelle pour se protéger.

Suite à la publication de cette ordonnance, que se passera-t-il en cas d’erreur commise par le comptable public ?

Si l’objectif des mesures prises par l’ordonnance est clair : faire face à l’urgence et au manque de personnel, leurs modalités d’application risquent cependant d’être compliquées pour le comptable. Le rapport au président de la République, relatif à l’ordonnance du 25 mars, précise en effet que la responsabilité du comptable public ne sera pas engagée uniquement si les erreurs commises concernent la mise en œuvre de mesures rendues nécessaires par la crise. L’appréciation du « lien de causalité » évoqué dans le rapport de présentation et exonérant le comptable de ses obligations sera délicate pour certaines opérations. De plus, en cas d’erreur avec préjudice financier, l’ordonnance indique que l’État ne prendra pas à sa charge, lui non plus, le remboursement des sommes auprès de la collectivité ou de l’organisme public. On peut alors se demander comment, en cas de débet prononcé par le juge des comptes, les procédures de demandes en remise gracieuse seront instruites.