Mandatement d’office des dépenses : possibilité d’engager la responsabilité de l’État pour faute lourde

Par François Fourmeaux

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Le Préfet dispose d’un panel assez fourni de pouvoirs de contrôle sur les budgets locaux. La décision du 5 juillet 2018 définit les contours d’engagement de la responsabilité de l’État en cas de carence de ce dernier dans la procédure de mandatement d’office d’une dépense.

Le principe de libre administration des collectivités territoriales consacré à l’article 72 de la Constitution ne doit pas faire oublier le dernier alinéa du même article, dont il résulte que « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, […] a la charge […] du contrôle administratif et du respect des lois ».

Les articles L. 1612-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales, relatives à l’adoption et à l’exécution des budgets locaux, en offrent une belle illustration. Ainsi, le Préfet peut saisir la Chambre régionale des comptes en cas de présentation d’un budget en déséquilibre (CGCT, art. L. 1612-14), tout comme il peut procéder à l’inscription d’office d’une dépense obligatoire au budget (CGCT, art. L. 1612-15).

Dans la foulée de ces dispositions, le Préfet est également habilité à procéder au mandatement d’office d’une dépense. Il résulte ainsi de l’article L. 1612-16 CGCT qu’« à défaut de mandatement d'une dépense obligatoire par le maire, le président du conseil départemental ou le président du conseil régional suivant le cas, dans le mois suivant la mise en demeure qui lui en a été faite par le représentant de l'État dans le département, celui-ci y procède d'office […] », une telle décision de mandatement étant susceptible de recours de la part de la collectivité concernée (CE, 12 oct. 1994, n° 141938, Département des Alpes de Haute-Provence).

Dans l’affaire ici commentée, un litige opposait la commune de Marseille au département des Bouches-du-Rhône, à propos du versement, par la première au second, de dépenses d’aide sociale, dans le cadre d’un « accord de partenariat ». Après avoir saisi le Préfet d’une demande de mandatement d’office des dépenses, à laquelle ce dernier n’a pas donné suite, le Département a saisi le juge administratif d’une demande tendant à condamner l’État à l’indemniser du préjudice subi. Après quelques méandres contentieux, le Conseil d’État a été (re)saisi de l’affaire.

Il précise tout d’abord dans sa décision du 5 juillet qu’une « dépense ne peut être regardée comme obligatoire et faire l'objet d'un mandatement d'office que si elle correspond à une dette échue, certaine, liquide, non sérieusement contestée dans son principe et son montant et découlant d'une loi, d'un contrat ou de toute autre source d'obligations » (déjà en ce sens : CE, 18 sept. 1998, n° 171087, Chambre de commerce et d'industrie de Dunkerque).

Il énonce ensuite que « si le représentant de l'État s'abstient de faire usage des prérogatives qui lui sont ainsi conférées, le créancier de la collectivité territoriale est en droit de se retourner contre l'État en cas de faute lourde commise dans l'exercice de ce pouvoir ». Une telle solution, qui avait déjà été admise (CAA Bordeaux, 22 nov. 2007, n° 05BX02476, Société Albenque TPI), s’aligne plus généralement sur celles dégagées en matière de pouvoirs de contrôle de l’État sur les collectivités territoriales : c’est en effet un régime de responsabilité pour faute lourde qui s’applique en cas, par exemple :

  • de carence du Préfet dans l’exercice de pouvoir de substitution aux pouvoirs de police du maire (CE, 25 juillet 2007, n° 283000, Société France Télécom)
  • de refus illégal du Préfet d’inscrire une dépense obligatoire au budget sur le fondement de l’article L. 1612-15 précité (CE, 29 avr. 1987, Ministère de l’Intérieur c/ école Notre Dame de X, solution constante depuis).

Au cas d’espèce, le Conseil d’État rejette finalement la demande d’indemnisation, au motif que le refus de mandatement opposé par le Préfet « n'a pas constitué […], compte tenu notamment de la difficulté à déterminer la portée juridique de l'accord de partenariat en ce qui concerne l'échéancier des règlements et d'apprécier, en conséquence, si la dette de la ville de Marseille pouvait être regardée comme échue à la date du refus de mandatement d'office, une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'État envers le département des Bouches-du-Rhône ».

Sources :